C'est la principale conclusion tirée par le journaliste Stephen Thorne, de la Presse canadienne, après avoir analysé le lexique des « Acronymes opérationnels ».
Ce document, non officiel, est compilé par le personnel du quartier général de la Défense nationale et le Centre de commandement et de contrôle.
Cacher la vérité
Selon le journaliste, les stratèges militaires et politiques n'ont de cesse, à l'ère des communications globales instantanées, de fignoler des discours, des communiqués et des réponses toutes faites qui poursuivent deux objectifs:
- masquer la réalité aux Canadiens;
- diminuer l'impact des conflits ayant lieu à l'étranger.
Stephen Thorne cite l'historien Jack Granatstein, pour qui cette réalité a toujours existé. Toutefois, l'historien note que le gouvernement et les militaires allouent plus de personnel à cette tâche. « C'est probablement plus scientifique et mieux fait », dit-il.
Thorne ajoute qu'il existe une longue et riche tradition consistant à employer des termes qui camouflent le caractère extrêmement inhumain de la guerre.
L'art de l'euphémisme
Il en donne quelques exemples:
- un soldat tué au combat n'est pas mort. Il est « tombé » ou « perdu »: ces deux termes remontent à la Première Guerre mondiale;
- les invasions et les guerres sont des « conflits » ou des « interventions militaires ». Ces euphémismes déplaisent aux anciens combattants de la guerre de Corée;
- depuis l'invasion du Kosovo, en 1999, les Canadiens envoyés au combat « rétablissent la paix » par opposition à « maintiennent la paix » ou à l'utilisation des mots guerre ou combat.
- l'expression « dommages collatéraux », désignant les civils tués accidentellement par les bombardements, remonte à la guerre du Vietnam.
- Les soldats tués par des camarades sont des victimes de « tirs amis ».
Les journalistes tenus en laisse
L'art et la science des communications se sont encore raffinés en Afghanistan et en Irak. Stephen Thorne rappelle que les militaires canadiens aussi bien qu'américains tiennent les journalistes en laisse en les intégrant à une unité en patrouille.
L'historien Jack Granatstein affirme que les bonimenteurs (spin doctors) militaires sont en fonction depuis au moins la guerre de Crimée (1853-56) et ne sont pas les seuls responsables de l'intensification de l'utilisation des euphémismes. « C'est le rôle des médias d'interpréter et de rapporter dans une langue « simple » ce qui s'est passé sur le front », dit-il.
Les journalistes intégrés aux troupes risquent de tomber dans une sorte de syndrome de Stockholm, absorbant le jargon qu'ils entendent au quotidien et le régurgitant. — Jack Granatstein, historien |
Selon lui, c'est au journaliste à choisir ses mots pour décrire la réalité. M. Granatstein fait la distinction entre le travail du colonel Untel qui donne un point de presse pour filtrer ce qui est donné à voir et à entendre au public et celui du journaliste. Si ce dernier rapporte seulement le discours du colonel Untel, alors il est fautif.
Les racines de ce vocabulaire
Stephen Thorne poursuit en soulignant que, bien que stratégiquement implantés pour adoucir la réalité, plusieurs de ces termes ont des racines juridiques ou sémantiques. Dans le langage militaire et politique, les combattants ennemis sont devenus des « terroristes », des « insurgés » ou des « militants » pour la simple raison qu'ils ne portent pas d'uniforme. Autrement dit, ils ne sont pas reconnus comme soldats au sens de la Convention de Genève, votée il y a 60 ans.
C'est à cause de ces mêmes accords internationaux sur les lois de la guerre qu'il n'y a pas de « PoWs (prisonniers de guerre) » en Irak ou en Afghanistan.
Dans le lexique politique et militaire, les ennemis capturés n'ont aucun statut de « prisonniers », même si on détient certains d'entre eux sans procès dans une « installation » militaire américaine (comprendre « prison » ) à Guantanamo, depuis plus de 6 ans. On les a transformés en « détenus ».
Victimes ou blessés
Le journaliste se penche aussi sur le vocabulaire employé par le gouvernement et le ministère de la Défense pour parler des « victimes » militaires ( tués ou blessés ). Il note que leurs communiqués donnent rarement de détails et évitent souvent le mot « blessé ».
Thorne relève aussi que les brûlés, paralysés, ceux qui ont perdu un membre ou qui souffrent d'un traumatisme crânien sont tous ramenés à l'état de « blessés ». Quand un soldat meurt, les Forces canadiennes informent les médias que « notre soldat tombé rentre à la maison » quand, en fait, souligne le journaliste, il ne rentrera jamais.
Les engins qui tuent et empoisonnent
La cause Nº 1 des pertes canadiennes en Afghanistan, ce sont les bombes de toutes sortes qui contiennent non seulement des quantités massives d'explosif, mais aussi des clous, des fragments métalliques ou des billes dans le but de tuer au maximum.
Dans certains cas, ces fragments sont enduits d'excréments ou d'autres substances nocives pour que la guérison des survivants soit rendue plus difficile et atroce. Pour désigner ces engins qui tuent au hasard, dit Stephen Thorne, les militaires parlent d'« engins explosifs improvisés » ou de « EEI », un acronyme plus neutre.
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