mercredi 25 juin 2008

Sur les fonds d'investissements...

Voici un article paru dans le Monde diplomatique du mois de novembre 2007. Signé par le directeur Igancio Ramonet. L'article porte sur les fonds d'investissement gigantesque tel que le Carlyle group qui gère plus de 75 milliards en capitaux propres.

Voracité

Tandis que, contre l’horreur économique, le discours critique – qu’on appela un temps altermondialiste – s’embrouille et devient soudain inaudible, un nouveau capitalisme s’installe, encore plus brutal et conquérant. C’est celui d’une catégorie nouvelle de fonds vautours, les private equities, des fonds d’investissement à l’appétit d’ogre disposant de capitaux colossaux (1).

Les noms de ces titans – The Carlyle Group, Kohlberg Kravis Roberts & Co (KKR), The Blackstone Group, Colony Capital, Apollo Management, Starwood Capital Group, Texas Pacific Group, Wendel, Eurazeo, etc. – demeurent peu connus du grand public. Et, à l’abri de cette discrétion, ils sont en train de s’emparer de l’économie mondiale. En quatre ans, de 2002 à 2006, le montant des capitaux levés par ces fonds d’investissement, qui collectent l’argent des banques, des assurances, des fonds de pension et les avoirs de richissimes particuliers, est passé de 94 milliards d’euros à 358 milliards ! Leur puissance de feu financière est phénoménale, elle dépasse les 1 100 milliards d’euros ! Rien ne leur résiste. L’an dernier, aux Etats-Unis, les principaux private equities ont investi quelque 290 milliards d’euros dans des rachats d’entreprises, et plus de 220 milliards au cours du seul premier semestre 2007, prenant ainsi le contrôle de huit mille sociétés... Déjà, un salarié américain sur quatre – et près d’un salarié français sur douze – travaille pour ces mastodontes (2).

La France est d’ailleurs devenue, après le Royaume-Uni et les Etats-Unis, leur première cible. L’an dernier, ils y ont fait main basse sur quatre cents entreprises (pour un montant de 10 milliards d’euros), et ils en gèrent désormais plus de mille six cents. Des marques fort connues – Picard, Dim, les restaurants Quick, Buffalo Grill, les Pages jaunes, Allociné ou Afflelou – se retrouvent sous le contrôle de private equities, le plus souvent anglo-saxons, qui lorgnent maintenant sur des géants du CAC 40.

Le phénomène de ces fonds rapaces est apparu il y a une quinzaine d’années mais, dopé par un crédit bon marché et à la faveur de la création d’instruments financiers de plus en plus sophistiqués, il a pris ces derniers temps une ampleur préoccupante. Car le principe est simple : un club d’investisseurs fortunés décident de racheter des entreprises qu’ils gèrent ensuite de façon privée, loin de la Bourse et de ses règles contraignantes, et sans avoir à rendre compte à des actionnaires pointilleux (3). L’idée, c’est de contourner les principes mêmes de l’éthique du capitalisme en ne pariant que sur les lois de la jungle.

Concrètement, nous expliquent deux spécialistes, les choses se passent ainsi : « Pour acquérir une société qui vaut 100, le fonds met 30 de sa poche (il s’agit d’un pourcentage moyen) et emprunte 70 aux banques, en profitant des taux d’intérêt très faibles du moment. Pendant trois ou quatre ans, il va réorganiser l’entreprise avec le management en place, rationaliser la production, développer des activités et capter tout ou partie des profits pour payer les intérêts... de sa propre dette. A la suite de quoi, il revendra la société 200, souvent à un autre fonds qui fera la même chose. Une fois remboursés les 70 empruntés, il lui restera 130 en poche, pour une mise initiale de 30, soit plus de 300 % de taux de retour sur investissement en quatre ans. Qui dit mieux (4) ? »

Alors qu’ils gagnent personnellement des fortunes démentielles, les dirigeants de ces fonds pratiquent désormais, sans états d’âme, les quatre grands principes de la « rationalisation » des entreprises : réduire l’emploi, comprimer les salaires, augmenter les cadences et délocaliser. Encouragés en cela par les autorités publiques, lesquelles, comme en France aujourd’hui, rêvent de « moderniser » l’appareil de production. Et au grand dam des syndicats, qui crient au cauchemar et dénoncent la fin du contrat social.

Certains pensaient qu’avec la globalisation le capitalisme était enfin repu. On voit maintenant que sa voracité semble sans limites. Jusqu’à quand ?

Ignacio Ramonet.

(1) Lire Frédéric Lordon, « Quand la finance prend le monde en otage », Le Monde diplomatique, septembre 2007.
(2) Lire Sandrine Trouvelot et Philippe Eliakim, « Les fonds d’investissement, nouveaux maîtres du capitalisme mondial », Capital, Paris, juillet 2007.
(3) Lire Philippe Boulet-Gercourt, « Le retour des rapaces », Le Nouvel Observateur, Paris, 19 juillet 2007.
(4) Cf. Capital, op. cit.

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