mercredi 25 février 2009

Néocolonialisme agraire - achats massifs de terres


L’une des grandes batailles du XXIe siècle sera celle de l’alimentation.


Comme il en avait déjà été question il y quelques mois sur ce blog -lire Rich country lunch great land grab for security-, des États de partout et des groupes d'investissements deviennent propriétaires d'immense terres agricoles -parfois aussi grosses que l'État d'Israël- de pays extérieurs. Cette pratique est à la fois pour les capitalistes une occasion de faire du profit sur le dos de l'insécurité alimentaire mondiale et pour les États un moyen de stabiliser leur système tout en n'ayant pas à se préoccuper de la restauration des zones agricoles détruites suite à leur boom démographique.

Dans cet article, Ignacio Ramonet décrit les transactions les plus marquantes de ce qu'il appel -et surement avec raison- le néocolonialisme agraire. Partout dans le monde, des terres sont achetées et les populations, une fois de plus réduites au statu d'esclaves suant et mourant pour la gloire d'État et de capitaux. Ces deux derniers ne cherchant toujours qu'à assouvir la domination d'une élite sur la majorité des populations, parfois déjà parmi les plus réprimées.

Le 17 avril prochain sera la journée internationale des luttes paysannes. Ce journée créée suite à la mort récente d'un fermier Sud-Coréen, sera une occasion pour les populations enchaînées aux champs et aux usines sur lesquelles ils n'ont pas le contrôle, de se mobiliser de partout pour chanter les cris de toutes les révolutions qui ont germées dans les prés et le sang des ouvriers.

Comme le disaient Émiliano Zapata et Ricardo Flores Magon aux côtés des MexicainEs insurgées en 1917, Nestor Maknho le paysans communiste-anarchiste révolutionnaire aux côtés des Ukrainiens-nes en 1918... et comme continuent à le faire aujourd'hui les paysan-ne-s en lutte...

Terre et Liberté!

NÉOCOLONIALISME AGRAIRE
par Ignacio Ramonet

L’une des grandes batailles du XXIe siècle sera celle de l’alimentation. De nombreux pays, importateurs de denrées alimentaires, ont été affectés ces derniers temps par la crise de l’alimentation et la hausse des prix. Les Etats riches l’ont assez bien supportée, mais ils ont été particulièrement préoccupés par l’attitude protectionniste de nations productrices qui, à partir du printemps 2008, ont adopté des mesures pour limiter leurs exportations de nourriture. Depuis lors, des Etats dépourvus de grandes ressources agricoles et d’eau, mais dotés d’importantes réserves de devises et ayant une croissance démographique forte, ont décidé de contrôler des récoltes en achetant de grands domaines ruraux à l’étranger.

En même temps, des investisseurs se sont également mis à acheter à travers le monde des terrains agricoles en vue de spéculer. Ils sont persuadés que l’alimentation sera l’or noir de demain. Et estiment que, d’ici à 2050, la production d’aliments devra doubler pour satisfaire la demande mondiale. « Achetez des terres ! » « Investissez dans des fermes ! » répète, par exemple, Jim Rogers, le gourou américain des matières premières [1]. Un autre grand spéculateur, George Soros, parie, lui aussi, sur les agrocarburants et s’est porté acquéreur de vastes domaines en Argentine. Le groupe suédois Black Earth Farming a pris le contrôle de quelque 330 000 ha de terres en Russie, tandis que le hedge fund russe Renaissance Capital mettait la main sur une superficie équivalente en Ukraine, pays où le groupe britannique Landkom a également acheté plus de 100 000 ha de terres à blé. De son côté, la banque américaine Morgan Stanley a acquis des dizaines de milliers d’hectares au Brésil, un État où le groupe agro-industriel français Louis Dreyfus, déjà bien implanté, via sa filiale locale Louis Dreyfus Commodities Bioenergia (LDCB), prévoit d’étendre la culture de la canne à sucre, en construisant des distilleries à travers tout le pays pour la production d’éthanol.

Dans cette course entre Etats et spéculateurs pour l’achat de terres fertiles à travers la planète, ce sont les premiers – motivés par des préoccupations géopolitiques – qui l’emportent. En particulier les nations qui détiennent les plus importantes réserves de devises ou de pétrodollars. Ainsi, par exemple, la Corée du Sud, premier acheteur mondial de terres, s’est assuré le contrôle de 2.300.000 ha de champs agricoles à l’étranger (soit une superficie équivalente à celle de pays comme Israël, El Salvador ou l’Albanie) ; la Chine détient 2 millions d’hectares ; l’Arabie saoudite, 1, 61 million ; les Émirats arabes unis, 1, 28 million ; le Japon, 324.000, etc. Au total, près de 8 millions d’hectares de domaines agricoles ont été récemment achetés ou loués par des Etats hors de leur territoire national.

Des régions entières de pays à faible densité démographique et dont les gouvernants acceptent de céder une part de leur souveraineté nationale sont ainsi passées sous contrôle de puissances étrangères. Un phénomène qui inquiète. Dans un rapport alarmant, l’Organisation non gouvernementale Grain dénonce un « accaparement de terres à l’échelle mondiale [2] ».

Dépourvus ou presque de terres arables et d’eau douce, les pays du Golfe ont été les premiers à se lancer. Le Koweït, le Qatar, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite recherchent des propriétés rurales partout dans le monde. « Nous avons l’argent, ils ont les terres. », expliquent les autorités de ces pays. Les Émirats arabes unis contrôlent déjà 900.000 ha au Pakistan et négocient l’acquisition de plusieurs centaines de milliers d’autres en Ukraine. Le groupe saoudien Benladen s’est procuré des terrains en Indonésie pour la culture du riz. La Libye a obtenu quelque 250 000 ha en Ukraine en échange de gaz et de pétrole. Des investisseurs d’Abou Dhabi et du Qatar ont acheté des dizaines de milliers d’hectares au Pakistan. La Jordanie produira des denrées comestibles au Soudan. L’Egypte s’est assuré le contrôle de 850 000 ha en Ouganda pour cultiver du blé et du maïs…

L’acheteur le plus compulsif est cependant la Chine qui doit nourrir 1,4 milliard d’habitants, soit 22% de la population mondiale, et ne dispose que de 7% des terres fertiles de la planète. Une situation d’autant plus fragile que l’industrialisation et l’urbanisation brutales de ces dernières décennies ont déjà détruit environ 8 millions d’hectares de champs agricoles. Et que certaines régions, en raison du changement climatique, subissent une désertification progressive. « Nous disposons d’une superficie de plus en plus réduite pour la production agricole, et il nous est de plus en plus difficile d’élever le rendement. » reconnaît Nie Zhenbang, chef du Service central de ravitaillement en céréales [3].

C’est pourquoi Pékin s’est assuré la maîtrise de vastes propriétés rurales en Australie, Kazakhstan, Laos, Mexique, Brésil, Surinam et surtout en Afrique. La Chine a signé une trentaine d’accords avec autant de gouvernements qui lui ont cédé des terres. Parfois, les autorités de Pékin y envoient leur propre main d’œuvre, mal payée, recrutée sur la base de contrats de travail précaires, et sans couverture sociale.

De son côté, la Corée du Sud contrôle déjà à l’étranger une superficie cultivable supérieure à la totalité de ses propres terres fertiles. En novembre 2008, le groupe coréen Daewoo a signé un accord spectaculaire et scandaleux avec le gouvernement de Marc Ravalomanana - un ex-chef d’entreprise qui dirigeait Tiko, un empire économique dans le secteur agroalimentaire, devenu président de Madagascar -, pour la location de 1,3 million d’hectares, soit la moitié des terres arables de la grande île…

Les autorités sud-coréennes ont également acheté 21 000 ha de terrains en Argentine pour les consacrer à l’élevage bovin. Environ 10% du territoire de cet État latino-américain - c’est-à-dire quelque 270 000 kilomètres carrés (soit l’équivalent de la superficie de pays comme le Royaume-Uni ou l’Italie) - est propriété d’investisseurs étrangers. Le plus grand propriétaire rural d’Argentine est Benetton, l’industriel italien du prêt-à-porter, qui possède environ 900 000 ha et est devenu le premier producteur privé de laine au monde. Le milliardaire américain Douglas Tompkins y a aussi acquis 200 000 ha de terres, situées à proximité des plus importantes réserves d’eau de ce pays.

D’une manière générale, la cession de terres à des États étrangers se traduit par l’expropriation de petits producteurs et par une hausse des prix du foncier au détriment des travailleurs ruraux sans terre qui voudraient en acheter. Sans oublier la déforestation. Un hectare de forêt produit un bénéfice de quatre à cinq mille euros par an si on déboise et on y plante des palmiers à huile ; soit de 10 à 15 fois plus que si on se limite à en exploiter le bois [4]. C’est l’une des raisons qui expliquent la disparition des forêts d’Amazonie, du bassin du Congo ou de Bornéo.

Cette mainmise sur les terres fertiles de pays pauvres constitue un odieux retour aux pratiques coloniales. Et une bombe à retardement [5]. Parce que la tentation des États étrangers acquéreurs est de saccager les ressources avec une vision de court terme… Mais la résistance s’organise. Ainsi, à Madagascar, en janvier dernier, le président Marc Ravalomanana a été accusé de brader le pays à des sociétés étrangères ; son projet de mise en location d’une partie des terres cultivables au coréen Daewoo a été vivement dénoncé. « Pour les Malgaches tenant à la "terre des ancêtres", cette cession aux Coréens est une trahison irréversible du sacré, d’autant plus que Ravalomanana a caché l’affaire à la population [6]. » La grande île s’est embrasée. Les émeutes y ont fait 68 morts…

Au Pakistan, les paysans ont commencé à se mobiliser contre le déplacement forcé de villages dans le Pendjab à cause de l’achat de terres par le Qatar. Le Paraguay a voté une loi qui interdit désormais de vendre des parcelles à des étrangers. Uruguay envisage de faire de même. Et le Brésil s’apprête à modifier sa législation dans un sens identique.
Le néocolonialisme agraire multiplie les risques de paupérisation des paysans, les tensions sociales extrêmes et les violences civiles. La terre est une question fort sensible. Elle a toujours provoqué des passions. Toucher à un tel symbole pourrait très mal finir.

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